La France fut le leader mondial de l’énergie nucléaire, mais des « Stop and Go » successifs ont mené à un déclin de l’avance du nucléaire français.
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09/05/2024Déclin de l’avance du nucléaire français
Le déclin de la recherche nucléaire française sur les réacteurs à neutrons rapides
La France a entamé son programme de nucléaire civile dès la fin de la Seconde Guerre Mondiale et s’est affirmée comme leader mondial de l’énergie nucléaire avec le Plan Messmer dans les années 70, en réaction au premier choc pétrolier.
Elle a alors déjà construit deux centrales dotées d’un réacteur à neutrons rapides et à caloporteur sodium : Rapsodie et Phénix, dédiées à la recherche. Superphénix en sera le successeur et sa construction commence en 1976.
Mais dès les années 90, la filière nucléaire est moins soutenue par le pouvoir. On a freiné les recherches sur les réacteurs à neutron rapides et leur développement. La centrale Superphénix est fermée prématurément en 1998. Le projet Astrid sera lui abandonné en 2019.
Les gouvernements successifs avaient annoncé une réduction de la part du nucléaire à 50% du mix électrique, menant à la fermeture de Fessenheim et à l’abandon des projets de construction de nouveaux réacteurs et signant un déclin des ambitions projetées sur le nucléaire, avant de faire demi-tour en annonçant la construction de six nouveaux EPR.
La promesse des réacteurs à neutrons rapides est la capacité d’employer comme combustible des matériaux qui seraient autrement considérés comme déchets.
Un déploiement à l’échelle du pays pourrait en théorie fournir la France en électricité avec une quantité de déchets considérablement réduite, puisqu’elle pourrait exploiter la quasi-totalité de ses déchets accumulés et produire, sans besoin d’importation de combustible.
Ces réacteurs conservent la qualité bas-carbone des installations nucléaires classiques.
Le potentiel énergétique de ces stocks est estimé suffisant pour satisfaire la demande énergétique du pays
pour plus d’un millier d’années (1).
Leurs principaux défauts sont un manque de compétitivité économique et les difficultés liées au caloporteur. Dans le cas du sodium : opacité et risques chimiques.
Superphénix
Superphénix était un prototype d’installation nucléaire de nouvelle technologie (réacteur surgénérateur à neutrons rapides et à caloporteur sodium), construit en 1968 et fermé en 1998. Il faisait partie de la filière des réacteurs nucléaires de quatrième génération.
Il avait pour objectif de lancer une série de réacteurs du même type et d’en étendre la maîtrise technologique, ainsi que de régler le problème des déchets nucléaires des autres centrales en les utilisant comme combustible (d’où le terme phénix). Le but était d’anticiper les futurs besoins en énergie et en ressources d’uranium.
Cela répondait à une prévision pessimiste des années 70 : on attendait alors une pénurie et une montée des prix de l’uranium, qui n’a finalement pas eu lieu.
Sa fermeture signala un déclin de l‘avance technologique du nucléaire français.
Astrid
Astrid était un projet de construction de réacteur nucléaire de quatrième génération, démarré en 2006 et mené en coopération avec le Japon dès 2014. Il a été finalement abandonné en 2019, sa construction n’a donc pas été démarrée.
Basé sur la même technologie que Superphénix, le projet bénéficiait de la recherche accumulée grâce aux centrales qui le précédaient. Il visait à faire passer au stade industriel les réacteurs nucléaires à neutrons rapides au sodium, beaucoup plus sûrs et durables, avec une rentabilité électrique améliorée.
Son abandon a marqué le déclin des ambitions portées par le nucléaire français.
Impact de la fermeture de Superphénix
La centrale Superphénix a été arrêtée en 1998 à la suite d’une décision politique. Elle servait alors d’installation de recherche et aurait pu poursuivre sa tâche. Son principal défaut était de devoir être arrêtée régulièrement pour problèmes administratifs et techniques (2), mais dont la gestion était l’un des points clefs étudiés par la recherche.
Une part de la scène politique a identifié Superphénix comme une cible prioritaire de la lutte anti-nucléaire.
En effet, il s’agissait de combattre une technologie :
- Exploitant et produisant du plutonium (que les opposants associent aux armes nucléaires)
- Qui aurait pérennisé la filière nucléaire en fermant le cycle du combustible, réglant ainsi le problème des déchets, ce qui la rendrait plus difficile à combattre.
Cela a ralenti pour des années la voie d’innovation technologique que sont les réacteurs à neutrons rapides, tout en limitant le travail de la filière nucléaire à d’autres méthodes de gestion des déchets radioactifs.
Le programme ASTRID, un abandon pensé sur le court terme
Par le biais du CEA (Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives), le gouvernement abandonne en 2019 le projet Astrid, après environ 740 millions d’Euros investis.
Le coût de construction de la centrale a été jugé trop élevé par rapport aux bénéfices attendus. Le bas coût de l’uranium est également avancé pour justifier que le développement d’infrastructures permettant de s’en passer ne soit pas prioritaire.
C’est donc en se concentrant sur un manque d’intérêt à court terme que la décision a été prise, en diminuant l’importance des gains à long terme que sont la progression de la filière et la fermeture du cycle du combustible nucléaire.
D’après Yves Bréchet, ancien haut-commissaire à l’énergie atomique, l’abandon d’Astrid signale une « disparition de l’État stratège » (1). C’est la marque du déclin d’une vision à long terme du nucléaire français.
De plus, d’après Stéphanie Tillement, chercheuse à IMT Atlantique : « Ne pas se lancer maintenant dans le développement de technologies qui nécessitent du temps pour être au point, c’est peut-être, implicitement, renoncer à le faire un jour » (3).
Les critiques des réacteurs à neutrons rapides français
Plusieurs arguments sont levés remettant en cause la pertinence de développer des réacteurs nucléaires à neutrons rapides en France, notamment par des groupes opposés à la filière nucléaire dans son ensemble.
Une des critiques apportées est le temps nécessaire à leur développement, à leur construction et à la maîtrise de leur technologie.
Aujourd’hui, il faudrait surement autour d’une décennie pour relancer et construire un nouveau projet.
Mais on peut y répondre que si Superphénix et Astrid avait été davantage soutenus, le pays serait encore doté d’un réacteur et le déclin du nucléaire français n’aurait pas eu lieu. On pourra toujours reprocher à un projet d’être trop long s’il n’est jamais démarré.
Autre sujet de critiques, les réacteurs à neutrons rapides permettent la transmutation d’Uranium 238 (non-fissile) en Plutonium 239 (fissile). Ils produisent davantage de combustible que la réaction n’en a besoin pour démarrer : c’est la surgénération.
Cette production de plutonium dans les réacteurs est aussi critiquée, puisque c’est un composant des bombes atomiques.
Cependant, le plutonium militaire exige une purification extrême pour être intégré aux armements (4). De plus, des applications civiles du plutonium ont déjà cours dans les centrales classiques (combustible Mox).
La surgénération est une caractéristique clef pour fermer le cycle du combustible nucléaire et ainsi repousser indéfiniment le déclin des ressources nucléaires. Mais comme pour toute technologie, il est important de peser le pour et le contre avant de décider de son utilisation ou non.
Les conséquences de la gestion de la filière nucléaire en France
En 2024, plus aucun réacteur à neutrons rapides n’est opérationnel en France.
En ne reconduisant pas de projet de générateur de quatrième génération, la France fait face à plusieurs pertes :
La perte de l’avance technologique sur les réacteurs de quatrième génération
Trois réacteurs de recherche de type neutrons rapides au sodium ont fonctionné en France : Rapsodie (1967-1983), Phénix (1973-2010) et Superphénix (1986-1996).
Faire aboutir le projet Astrid à une construction aurait permis de concrétiser les connaissances accumulées en dotant le pays d’un nouveau réacteur à neutrons rapides actif.
Son abandon a décrédibilisé l’industrie nucléaire française en plus de mettre à risque 70 ans de recherche.
Pour rappel, les réacteurs à neutrons rapides présentent de grands avantages potentiels, à condition de les développer suffisamment pour une application à grande échelle :
- Production d’électricité bas-carbone, tout comme les centrales classiques
- Division par 10 de la masse de déchets nucléaires ultimes produits et stockés
- Indépendance énergétique de très longue durée (potentiellement plus de 1000 ans), en éliminant le besoin d’importations de combustible : en 2015, la France disposait d’environ 250 000 tonnes d’uranium appauvri (5), stockées en attente de pouvoir les réutiliser.
En interrompant la recherche et la construction de tels réacteurs, sans relancer la filière, la France fait une croix sur l’ambition d’accéder à ces avantages et risque le déclin de sa filière nucléaire.
La perte d’un projet de fermeture du cycle du combustible
La fermeture du cycle du combustible nucléaire permettrait de considérablement augmenter les ressources en combustible nucléaire et de fortement réduire la quantité de déchets. Elle implique de mettre en place un traitement du combustible usé pour en retirer du combustible exploitable.
Pour cela, on peut utiliser un surgénérateur, c’est-à-dire un générateur qui produit plus de combustible qu’il n’en consomme.
Les réacteurs à neutrons rapides sont capables de remplir ce rôle en consommant le combustible usé des centrales classiques.
La perte de compétences
Le secteur s’est retrouvé avec une filière publique réduite, il a donc été plus difficile pour les professionnels d’exercer ou transmettre leurs compétences.
De plus, le secteur a souffert d’un déclin de l’attractivité du nucléaire pour les étudiants, auxquels on présentait moins de perspectives.
Quels pays ont pris l’avance sur la France dans le nucléaire ?
L’énergie nucléaire a une importance historique en France, qui en a une plus grande part dans son mix électrique que tout autre pays. Mais alors qu’un déclin de la recherche nucléaire s’y est opéré, des projets existent entre autres en Italie, au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Inde, en Chine ou en Russie.
L’entreprise américaine TerraPower, fondée par Bill Gates en 2006, est un autre exemple d’entreprise travaillant au développement de nouvelles technologies de réacteurs nucléaires, avec le soutien du département de l’Énergie des États-Unis.
Un objectif annoncé en 2021 pour 2030 est la construction d’une centrale appelée Natrium, avec un réacteur à neutrons rapide refroidi au sodium, à l’instar d’Astrid. La construction aurait lieu dès juin 2024 au Wyoming (7).
Elle partage plusieurs projets à l’international, comme avec les Émirats Arabes Unis et notamment le Japon, qui stagne dans son développement de réacteurs à neutrons rapides depuis l’annulation d’Astrid.
En Chine aussi, la CNCC (Compagnie Nucléaire Nationale Chinoise) a débuté en 2017 la construction d’un réacteur nucléaire à neutrons rapides refroidi au sodium : le CFR-600. Le premier réacteur a été mis en marche en 2023 (8). Ce projet est en cohérence avec leur ambition de clore le cycle du combustible nucléaire.
Loin d’un déclin du nucléaire, la Chine est de loin le pays qui développe le plus de nouvelles installations nucléaires, bien que son électricité dépende encore majoritairement du charbon.
La France a-t-elle cédé ses recherches dans le nucléaire ?
S’il y a eu des rumeurs prétendant que la France eu cédé ses recherches, l’État français a toujours la propriété intellectuelle du projet Astrid.
Les concurrents étrangers n’ont en réalité pas besoin de cela pour avancer dans leurs travaux.
En effet, la technologie d’Astrid est l’une des principales pistes envisagées pour le développement de réacteurs de quatrième génération, les chercheurs français ne sont donc pas les seuls à s’y être intéressés.
Pour avantager les autres programmes de recherche, il suffit à la France de les laisser progresser sans palier à un déclin de sa propre filière nucléaire.
Où en est la recherche nucléaire, en France et ailleurs
Les équipes de l’IRESNE (Institut de Recherche sur les Systèmes Nucléaires pour la production d’Energie bas-carbone) travaillent encore sur les réacteurs de quatrième génération.
Plusieurs start-up françaises travaillent sur les réacteurs nucléaires, notamment les SMR (Small Modula Reactors). Elles sont appuyées par le plan d’investissement France 2030, annoncé en 2021, avec l’objectif de « favoriser l’émergence d’une offre française de petits réacteurs modulaires (SMR) d’ici 2035, et soutenir l’innovation de rupture dans la filière » (6).
Les réacteurs modulaires de petite taille sont prometteurs grâce à un besoin en investissements réduit et la possibilité d’une production à la chaîne. Cela les rend plus accessibles, malgré une moins grande rentabilité par kWh comparé aux installations de grande taille. Ainsi ils ont l’avantage d’être adaptables à de plus nombreux projets où l’installation d’une grande centrale ne serait pas avantageuse.
Conclusion
Globalement, la recherche nucléaire française a souffert d’un calendrier politique qui évolue à une échelle de temps différente que celle dont elle avait besoin. Le déclin de l’avance nucléaire française a avant tout une cause politique.
Les « Stop and Go » successifs sont un signe que les pouvoirs publics ont manqué d’une vision claire à long terme et que les intérêts politiques avaient pris le pas sur les considérations technologiques et les analyses dans la prise de décision.
En 2022, une Commission d’enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France est formée (9), en réaction au déclin de la production électrique du nucléaire lors de cette année. Après de nombreuses auditions, elle est clôturée en mars 2023.
Trente propositions y sont faites pour « redonner à la France un destin énergétique ». Parmi elles : établir une vision long terme sur 30 ans, soutenir le nucléaire pour la décarbonation du pays et relancer un projet de réacteur sur le modèle d’Astrid.
En parallèle, la France envisage la construction d’installations dédiées à la conversion d’uranium de retraitement en uranium enrichi, d’après le directeur de la division combustible nucléaire d’EDF.
En Europe, seule la Russie dispose d’une usine permettant le recyclage de cet uranium particulier, récupéré lors du retraitement des combustibles usés. Comme pour Astrid, les débouchées économiques n’étaient auparavant pas considérée suffisantes pour justifier ce type d’installation en France. Mais l’intérêt stratégique d’en disposer est devenu évident avec le conflit actuel.