Comment l’indépendance nucléaire de la France est entrée en difficulté
Vers la fin du XXe siècle, la filière nucléaire française était la plus développée au monde et EDF était prospère en tant qu’unique fournisseur d’électricité.
Cette avance technologique n’a pas été maintenue, ce qui a abouti à une mauvaise gestion, puis à une grosse indisponibilité du parc nucléaire en 2022.
La mauvaise planification de la filière menace l’indépendance nucléaire française
La filière nucléaire française a été le plus largement développée pendant les années 70 et 80, dans le but de garantir une indépendance énergétique nucléaire au pays. Cet essor se termine à la fin du XXème siècle.
En 2023, 56 réacteurs sont présents en France, mais certaines décisions de l’État n’ont pas permis à la filière de conserver le même niveau d’expertise (6 ; 7) :
- En 1997, la centrale de Civaux est mise en service. En France, aucune autre ne l’a été depuis.
- Toujours en 1997, le premier ministre annonce l’arrêt de Superphénix, une installation nucléaire de quatrième génération dédiée à la recherche.
- En 2010, l’adoption de l’ARENH contraint EDF à vendre 25% de sa production électrique nucléaire pour 42€/MWh, moins cher qu’elle ne coûte à produire (8).
- En 2015, la Loi pour la transition énergétique en faveur de la croissance verte prévoit de baisser la part du nucléaire dans le mix électrique français à 50%.
- En 2019, le CEA abandonne le projet Astrid, un prototype de réacteur nucléaire de quatrième génération, du même type que Superphénix. Le prototype ne sera donc jamais construit.
- En 2020, la centrale de Fessenheim est fermée des suites d’une décision politique appliquant la loi de 2015.
La tendance semble s’inverser en 2022, avec l’annonce de la construction de six nouveaux réacteurs nucléaires, mais le retard accumulé pourra-t-il être rattrapé ?
Pendant l’hiver 2022, jusqu’à 24 des 56 réacteurs de France ont été arrêtés en simultané pour des raisons de maintenance. Des travaux planifiés en 2020 ont été reportés des suites du covid 19, et des risques de corrosion en ont imposé d’autres. Tout de même, on a du mal à comprendre la décision de les arrêter en même temps.
La baisse de concentration sur le nucléaire a abouti à une mauvaise gestion du parc, qui expose la France à une crise énergétique et des coupures de courant en plein hiver.
Ce défaut dans l’indépendance nucléaire a fait du pays un importateur net d’électricité en 2022, et ce pour la première fois depuis 1980 (9).
Impact des décisions de l’Union Européenne sur l’indépendance nucléaire française
En 2000, l’État français ouvre le marché électrique de la France à la concurrence, sous les conditions du marché européen de l’électricité.
EDF est alors factuellement en situation de garantir l’indépendance nucléaire et électrique en France.
En 2010, la NOME met en place l’ARENH (8), qui impose à EDF de vendre 30% (25% avant 2022) de sa production nucléaire à des entreprises concurrentes, à un tarif fixe de 42€/MWh. Le but affiché est de permettre aux fournisseurs alternatifs de proposer des tarifs compétitifs.
Or en France, le coût de production de l’électricité est de 60€/MWh (10) pendant que le prix de vente était de 275,9€/MWh en 2022 (4) (prix spot horaire 2022). Ce prix dépend du marché européen, qui le fixe en fonction du prix du gaz.
Cette situation, qui dure depuis quelques années déjà, n’a pas été ressentie par les consommateurs par rapport au prix d’électricité en France, car le gaz, massivement importé de la Russie, bénéficiait d’un bas prix négocié. La situation en 2022 a changé géopolitiquement, avec des conséquences économiques, y compris la hausse du prix du gaz.
EDF vend une part de sa production nucléaire pour moins cher qu’elle ne lui a coûté à produire, ce qui représente une perte doublée d’un large manque à gagner.
Les entreprises privées à qui la France vend son électricité revendent une large part de cette électricité aux consommateurs, alors qu’en 2022 elles n’ont produit par elle-même que 13,5 TWh, soit 3% de l’électricité produite en France (4, 11) !
En 2022, le manque à gagner causé par l’ARENH s’ajoute à celui lié à l’arrêt de 24 réacteurs sur 56.